PROJET MILLIE
Carte blanche
PROJET MILLIE
Mise en espace de la pièce Pour que vienne le jour de Juliette Malfray
dans le cadre de sa carte blanche de sortie de l’ESCA
Théâtre musical. Tout public. Durée : 1h30
Écriture, création son et mise en scène : Juliette Malfray
Collaboration artistique et scénographie : Héloïse Manessier
Création lumière : Luca Bondioli
Costumes : Bruno Marchini
Avec : Simon Cohen, Léa Delmart, Leïla Loyer Kassa, Héloïse Manessier, Shannen Athiaro-Vidal
Production – Auteurs des Flammes.
Coproduction – Studio Théâtre d’Asnières.
Soutiens – ALT Auteurs Lecteurs de Théâtre, DOC.
RÉSUMÉ
En vidant le grenier familial, une journaliste tombe sur un ancien portrait en noir et blanc, qui lui ressemble trait pour trait. Au dos de la photographie, elle déchiffre l’inscription : Millie Chissick, 1906, comédienne juive polonaise. Troublée par sa ressemblance frappante avec cette femme, elle décide de mener l’enquête et de partir sur les traces de cette potentielle nouvelle ancêtre, en espérant en apprendre plus sur ses origines. Mais son voyage sur les routes d’Europe ne se passe pas comme prévu…
Pour que vienne le jour est un conte, une enquête spirituelle, une aventure qui se joue en même temps dans plusieurs pays, à plusieurs époques. Les personnages qui prennent vie nous invitent à nous perdre dans l’entremêlement de leurs histoires et à les suivre dans leur quête d’identité.
EXTRAIT
LA JEUNE FEMME QUI CHERCHE UN SENS À SA VIE : Il pleut très fort. Je suis immobilisée pour je ne sais pas combien de temps. Perdue au milieu de nulle part. Seule. À des centaines de kilomètres de chez moi. Aucun panneau de direction pour m’indiquer où je dois aller. J’attends que ça passe. Temps. J’ai envie de vomir. Cette idée de merde. Trois semaines de merde. Sur les routes. À suivre les maigres traces laissées par… Un fantôme. Qu’est-ce qui m’a pris ? L’idée est simple. D’abord tu te renseignes, tu récoltes le maximum d’informations possibles sur elle. Ok. Puis tu y vas. Quand tu es sur place, tu contactes des gens, tu fais ta voix douce, tu dis que tu as besoin d’aide, tu organises des rendez-vous, tu manges les spécialités locales, tu te fais toute petite, tu dis bonjour et au revoir dans la langue du pays, tu manges les spécialités locales, tu avances, tu souris même quand tu pleures à l’intérieur, tu avances, tu es un roc, tu marches sur la terre de tes ancêtres, sur ta terre, personne ne peut t’arrêter. Temps. Ça, c’est sur le papier. Ça, c’est ce que tu te racontes avant de partir. Parce que quand t’es sur place, c’est une toute autre histoire. Elle coupe l’enregistrement. Je fais quoi maintenant ? Un grondement sourd se fait entendre.
NOTE D’INTENTION – Juliette Malfray
GÉNÈSE DE L’ÉCRITURE
« Quel sens y a-t-il à écrire maintenant quelque chose sur une actrice du théâtre juif inconnue ? […] Chacun de nous avance sous la pression des souvenirs et d’obligations confuses. Ce sont eux, un beau jour, qui te collent la plume en main et tu te mets à écrire sans te poser de question. » Adolf Rudnicki, Théâtre, théâtre !
Pour un projet de théâtre documentaire en 2018, j’ai travaillé sur la figure de Millie Chissick, comédienne polonaise juive, qui apparaît dans les Journaux de Franz Kafka et dans la pièce Nous les héros de JL Lagarce sous le nom de « Madame Tschissik ». Je voulais découvrir la vie de cette comédienne et non partir du personnage de théâtre créé par Lagarce ou de la vision idolâtrée de Kafka, en cherchant des documents historiques et des informations précises sur son histoire et ses tournées de comédienne en Europe. Alors que j’avais projeté quelques photographies d’elle au mur en répétitions, on m’a prise en photo devant un portrait où elle apparaît costumée en personnage, dans une pose théâtrale selon la mode de l’époque. Cette photographie en surimpression m’a donné une vive émotion. Je me suis sentie tout à coup familière avec cette femme : est-ce que ma ressemblance physique avec elle est un hasard ? Serait-elle une ancêtre inconnue ? Ai-je des origines génétiques que je ne connaitrais pas ? En posant ces questions aux anciens de ma famille, j’ai senti une grande gêne. C’était la première fois que je réalisais que me questionner sur mes origines était tabou pour eux.
Ce manque de réponse m’a fait repenser la notion d’identité, compliquée à manier aujourd’hui tellement elle est chargée d’histoire. Qu’est-ce qui fait identité ? Chacun pourrait se définir selon le référentiel qu’il préfère, ses origines, son statut social, son métier, son lieu d’habitation, l’identité étant une notion mouvante. Je me demande alors : jusqu’où est-on prêt à aller pour découvrir ses origines ? Cette question cruciale s’est imposée de plus en plus, jusqu’à me sommer d’être élucidée. J’ai fait le choix d’y répondre par l’écriture et de transformer ce processus de réflexion en pièce de théâtre. C’est à ce moment-là que mon projet a commencé à prendre forme et à devenir une enquête à plus large spectre.
J’ai initié mon travail par une recherche historique et factuelle détaillée sur Millie. J’ai rencontré son arrière-arrière-petit-fils, Kieron Maguire en juin 2019 à Londres, qui m’a transmis des documents historiques sur sa famille. Ces documents, associés aux éléments issus de mes recherches internet, aux éléments de biographies et aux souvenirs auxquels j’ai eu accès, m’ont permis de réaliser une sorte de carnet de route d’itinéraires possibles que Millie aurait pu emprunter dans ses différentes tournées. Riche de ces informations, armée de courage et d’enthousiasme, j’ai alors entrepris un voyage sur les routes d’Europe en août 2019. Je suis allée à Varsovie, Czestochowa, Będzin, Katowice, Vienne, Prague, Berlin. Pendant une vingtaine de jours, je suis partie sur les traces de cette comédienne, en allant dans les lieux où elle a joué et où elle a vécu. Durant cette aventure, j’ai ressenti encore plus profondément qu’auparavant cette étrange sensation que les morts, les disparus, les effacés me sont autant présents que les vivants eux-mêmes. Le cheminement de mes réflexions a peu à peu trouvé le moyen de se formuler en mots : sont venues à moi les déroutes sur les routes, les questions sans réponses, les prières à des ancêtres inconnus, les révélations sur cet « âge de raison » où on questionne son identité et où on décide d’emprunter le chemin qu’on s’est choisi. Au fil de mon voyage, j’ai pu en apprendre plus sur Millie, non pas d’un point de vue intellectuel ou informatif, mais en étant « sur la route », comme elle l’a été une grande partie de sa vie. Comme Kafka, j’ai écrit un journal de bord, partageant mes émotions et mes réflexions au quotidien. C’est dans cet état que j’ai pu trouver l’endroit de parole de mon fantôme imaginaire de Millie. Et alors que je ne m’attendais à rien d’autre que ce bonheur, d’autres voix du passé ont ressurgi. Elles se sont présentées comme des spectres familiers, en quête de leur vie rêvée, de leur réussite professionnelle, de leurs origines… J’avais désormais un colloque de fantômes à satisfaire ! J’ai décidé de leur donner de la voix …
THÉMATIQUES
Il y a un but, mais pas de chemin ; ce que nous nommons chemin est hésitation. Franz Kafka
La pièce s’est écrite sur les routes d’Europe. C’est donc tout naturellement que le fil rouge de la fable est conté par une Europe personnifiée. Les moments du parcours de comédienne de Millie, ses migrations, ses doutes, font écho aux crises traversées par l’Europe du 20e siècle, et aux espoirs promis par la création de l’Union Européenne et de l’espace Schengen. Le personnage d’Europe conte les mythes anciens et les nouveaux mythes de cette terre fertile déjà riche d’une galaxie d’histoires.
Nous jouons avec un espace-temps distordu. Les spectateurs seront conviés à un voyage qui promet quelques secousses ! Ils pourront plonger des villes parcourues par Millie pendant sa tournée européenne, des espaces intimes (chambre, café), des espaces inhospitaliers (grands espaces vides, douane, gares), des espaces naturels (une forêt, une grotte). Nous représentons ces époques et ces espaces de manière à les faire cohabiter. Les scènes sont conçues comme des tableaux avec une époque, une histoire, un espace, un style, une iconographie très précise. La scénographie est légère, modulable et conçue pour laisser les comédiens libres de changer d’espace-temps fictionnel rapidement. Pour suggérer les différents lieux, nous réutiliserons les codes du théâtre de tréteaux et ceux du music-hall : des petites scènes faites de palettes de bois, des pans de murs en carton-pâte volontairement rustiques et modestes, des accessoires qui renvoient à l’itinérance (une cariole, des valises…). Dans le travail de la lumière, plutôt que d’appuyer sur la distinction entre le dedans et le dehors, nous suggérons les différentes temporalités en travaillant sur les couleurs, les contrastes et les lumières naturelles (le traitement du feu, les feuillages des forêts) pour convoquer des paysages.
Les spectateurs plongent ainsi dans une multitude d’univers bariolés. À l’aune du théâtre yiddish, peu connu, le spectacle mélangera théâtre, chants, mimes et déguisements. Le jeu des comédiens alternera entre un hyper réalisme pour les scènes qui se passent à notre époque, et un jeu codifié avec des interludes dansés, chantés et musicaux pour les scènes du passé. Cette emphase convoque l’énergie que j’aime tant dans le théâtre populaire yiddish.
En traversant des espace-temps variés, en retraversant des histoires européennes ancestrales et en assistant à la production de nouvelles histoires individuelles, le spectateur sera invité à voyager lui aussi, sur son propre chemin, sa quête personnelle.






